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Un jour, j'ai...
29 juin 2014

Un jour, j'ai... été papa.

 

cri

 

 

"La lassitude? Tu la ressentiras bien toi aussi. Ca fait partie de l'amour, une fatigue, un moment donné, comme l'ombre d'une faille qui nous assombrit."  Claire de Lamirande

 

J’ai toujours voulu avoir des enfants, je voulais à tout prix fonder une famille.

Alors j’en ai fait. Deux.

J’avais envie d’entendre leurs rires, leurs cris, de partager leurs peines, de les aider à devenir des belles personnes, respectueuses, bien élevées. Je voulais leur donner mes valeurs, ce qui m’a permis de me construire, même si je n’ai pas toujours été exemplaire, je savais quelles armes leur donner pour être appréciés de la plupart des gens.

C’est fort de cette idée que j’ai essayé de les élever au mieux. Il fallait les encourager au bon moment, et les reprendre quand ils allaient trop loin.

Je me suis montré aimant, compréhensif, intransigeant parfois. J’ai toujours essayé d’expliquer pourquoi je punissais, pourquoi j’avais apprécié certaines choses.

J’aimais mon travail avant de les avoir. C’était un travail qui me prenait beaucoup de temps. Eux aussi, alors j’ai été plus ou moins forcé de faire un choix. Et le choix s’est porté sur eux. Ces êtres qui étaient tout pour moi, que je désirais par-dessus tout. J’ai donc pris un partie du temps que je consacrais au travail pour le reporter sur eux.

J’étais un sportif assez complet et avec un bon niveau également. J’y passais beaucoup de temps quand je n’avais pas d’enfants. Il était tout à fait logique que je reprenne aussi du temps au sport pour le leur accorder.

Tout naturellement, j’ai mais de côté une partie de ce que j’aimais. Parce que j’estimais qu’il le fallait, parce que ces petits êtres qui n’ont pas demandé à naître méritaient que je fasse quelques sacrifices. D’ailleurs « sacrifices » n’est pas un terme adapté. On ne peut pas parler de sacrifices quand on veut élever ses enfants.

J’ai accepté de ne presque plus dormir pour les consoler en pleine nuit. J’ai accepté de commencer mes journées parfois à six heures du matin, voire parfois à quatre heures. J’ai accepté d’enchainer les nuits de merde et les journées de boulot qui semblaient interminables.

Et de vite quitter le boulot pour les récupérer chez la nourrice afin de passer du temps avec eux, parce que j’étais persuadé qu’ils étaient mieux avec leur père qu’avec d’autres personnes. Et puis ça me permettait d’économiser un peu d’argent, ce n’était pas négligeable. Je les ramenais à la maison, je répondais à leurs sollicitations, j’aidais à faire les devoirs, j’aimais les doucher, leur préparer à manger, jouer avec eux. J’aimais tout ça, je vous jure.

Je ne me suis jamais caché de leur dire combien je les aimais eux. Je leur disais aussi quand ils étaient insupportables, c’est normal, il faut leur donner les billes pour avancer. On apprend de ses erreurs. Si on nous en laisse le temps.

Je leur ai laissé six ans. Six ans pour me rendre compte que je subissais plus que je ne vivais.

Ça m’a fait chier de ne plus pouvoir bosser correctement. Ça m’a fait chier de ne plus courir. Ça m’a fait chier de ne plus dormir. Ça m’a fait chier de ne penser qu’à eux, tout le temps. Ça m’a fait chier de n’être que le père de. Je perdais ma personnalité. Toutes ces années m’ont usé.

Je ne le montrais à personne. Parce que personne n’aime avouer qu’il foire quelque chose, qu’il n’a pas les épaules assez larges pour supporter le poids des choses. Et toutes ces revues de merde qui vous font culpabiliser de ne pas être à la hauteur, qui vous font croire que c’est facile.

Facile de ne pas dormir, facile d’accepter que ça ne marche pas, facile de supporter les coups, les cris, les pleurs, l’égoïsme des enfants. Facile de ne plus exister, facile de faire croire que tout va bien. Facile de vivre ça tous les jours.

Tous les jours.

Aujourd’hui encore.

Encore une journée où je me suis levé avant le soleil, une journée où je me suis trainé, une journée où j’ai couru partout pour les déposer et les reprendre le soir, une journée où rien ne m’a fait sentir humain, important. Encore une journée avec ce mal de crâne qui ne me quitte plus depuis des mois. Encore une journée avec cette boule au ventre qui ne disparaît pas parce que je ne savais pas dans quel état j’allais les récupérer, je ne savais pas si j’allais passer une soirée avec des cris et des pleurs, ou seulement des pleurs.

Je suis rentré avec eux à la maison. Le grand est parti aux toilettes en arrivant, sans prendre les temps de retirer ses chaussures sales, j’aurais aimé avoir une maison propre pendant deux jours. J’ai posé la petite qui s’est mise à hurler dès qu’elle a été en contact avec le sol. J’ai bien essayé de la calmer mais ça ne marchait pas. Le grand m’a appelé pour l’essuyer. Il ne sait rien foutre tout seul. Le chat me tournait autour et réclamait à manger, et comme je ne suis pas allé assez vite, il m’a mordu. La petite hurlait toujours, le grand continuait à m’appeler. J’étais toujours habillé, toujours avec mes chaussures aux pieds, mon gilet sur le dos. J’avais encore les sacs des enfants dans les bras. J’avais chaud, j’avais mal au crâne, j’étais déjà usé par le bruit et on venait à peine de rentrer. Encore une journée qui va finir comme les autres, difficilement.

Il n’en a rien été.

Je n’ai rien montré, comme d’habitude. Je suis allé voir le grand aux toilettes, je lui ai dit pour la centième fois qu’à son âge il pouvait peut être se torcher le cul tout seul. Il a ri. Pas moi. J’ai approché la main de son visage, je l’ai posée sur sa joue. Il a dû croire que je ne dirais encore rien. En effet je n’ai rien dit. J’ai écrasé violemment sa tête sur le mur des toilettes, une fois, deux fois, je ne sais plus combien de fois, jusqu’à couvrir le carrelage de sang, d’os, de cervelle. Putain j’avais fait le ménage hier merde !

Et l’autre qui hurlait toujours dans l’entrée sans que je sache pourquoi. Si au moins c’était parce qu’elle avait vu son frère se faire éclater. Mais même pas. Trop égoïste. Elle était pathétique avec ses yeux rougis par les larmes, son nez qui coulait, ses cheveux collés sur son crâne par la sueur, assise en plein milieu de l’entrée. Mon pied est parti, en plein dans la tempe. Un coup, un seul, mais qui a fait mouche. Faut dire que j’étais plutôt bon footballeur.

J’avais enfin le silence. Je pouvais enfin me reposer. Cette soirée ne serait pas bruyante.

J’ai eu envie d’un bain. J’ai fait couler l’eau et m’y suis plongé quand c’était prêt. J’ai pris le temps de me raser, ça faisait au moins quinze jours que je devais le faire. Je me suis coupé le doigt en rinçant la lame. Elle coupait bien cette lame. Je n’ai pas eu besoin de m’y reprendre à deux fois pour les veines du poignet. Tout était réuni pour passer une bonne soirée : du calme, de la détente, et une nuit qui allait être bonne, et longue. Très longue.

J’ai essayé d’être un bon papa. Je vous jure j’ai essayé.

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Commentaires
P
J'aime vraiment :D
P
Ouh là là ! ça c'est du côté sombre ! Gloups. On dirait du Dexter.<br /> <br /> J'aurai quand-même aimé une fin du style : "c'est à cet instant-là que je me suis réveillé, à 4h, à cause des pleurs..." <br /> <br /> Mais bravo pour l'exercice de style qui fait froid dans le dos. On y voit tous notre part sombre.
Un jour, j'ai...
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